Un beau massif à découvrir au fond de la vallée du Louron :

Les Gourgs Blancs : des lacs, un pic ( 3131m )…

 

 

A l’époque de la pleine splendeur des glaciers pyrénéens (1960-70) j’avais découvert la cîme principale des Gourgs Blancs, par la voie normale classique du versant nord : Du Col des Gourgs blancs(2890m) entre le cirque d’Espingo et le vallon de Caillaouas, on remontait un beau glacier en cuvette, un peu pentu sur la fin, à l’approche d’une courte cheminée en rocher délité, puis une arête débonnaire en bon granit ; superbe ramasse sans risque à la descente… Mais le recul des glaciers qui, depuis 20 ans, n’a cessé de me surprendre, en rendant plus difficiles voire impraticables bien des voies autrefois faciles, au Pic Long, à l’Aneto (par Llosas), aux Posets (par l’Est), aux Pics d’Enfer, et récemment au Balaïtous (par Las Néous) en faisant apparaître des ressauts de près de 50 m là où la neige atteignait la crête, ou garnissait la base de cheminées…

Ainsi aux Gourgs Blancs, la « cheminée » est devenue une vraie paroi encombrée de blocs instables, et ce qu’il reste du glacier est suspendu au dessus de rognons rocheux rendant redoutable toute glissade ! Je lorgnais donc depuis quelques années sur la longue arête Nord-ouest – quatre sommets de 3000 mètres dans la foulée – nécessitant une longue journée de grand beau !

Deux précédentes tentatives, en juillet 2005 et 2006, avec un groupe un peu lent et un temps incertain, s’étaient reconverties vers le Pic des Spijeoles ou le Seilh dera Baquo, superbes belvédères… face aux Gourgs Blancs, qui nous narguaient. Nous avions au moins trouvé le camp de base idéal au lac des Isclots (2400m) que l’on gagne en une bonne heure par un sentier escarpé au dessus du grand lac de Caillaouas (2170m) ; celui-ci s’atteint depuis la Centrale de Pont de Prat (1200m) par un excellent sentier muletier, d’abord dans une belle forêt de sapins (1heure), puis une demi-heure de promenade horizontale en balcon au dessus du fond des gorges de Clarabide, encore encombrées de résidus d’avalanches : surpris par une fort grondement dans ce parcours – alors que le ciel était sans un nuage – nous réalisions peu après qu’il qu’un pont de neige venait de s’effondrer !... Après la centrale hydroélectrique de la Soula (1650 m), les lacets reprennent, versant ouest, en plein soleil à cette heure : au total 1200 mètres de dénivelé, soit 4 à 5 heures avec nos sacs (tente, matériel d’alpinisme et vivres pour 3 jours). Le plus dur est fait, physiquement parlant, et l’on peut profiter du site enchanteur au bord du lac d’un bleu-vert, entre jade et turquoise, avec sa petite île au milieu, le flamboiement du soleil couchant sur le pic, et la visite possible des isards : en 2005 il étaient à 50 ou 100 mètres de notre tente sur la crête, toute la soirée et jusqu’au lendemain matin…

Cette fois-ci, avec Véronique et Patrick, le premier matin est le bon : du Lac du Milieu (2500m) nous gagnons par des pentes d’herbes raides le col de Pouchergues, au pied de l’arête NW de la Pyramide du même nom : nous nous encordons, le rocher n’est pas toujours sûr mais la difficulté moyenne (II-III), même s’il faut chercher un peu l’itinéraire, entre versants Est et Ouest. Du sommet de la Pyramide, on redescend légèrement, puis on contourne un ressaut rébarbatif par la gauche (Est). La suite de l’arête est plus facile jusqu’au Pic Saint-Saud (selon la carte) notre premier 3000 de la journée ; pour gagner le suivant, le Pic Camboué (3040) nous passons sur le flanc sud : C’est maintenant de la marche jusqu’à la pointe Lourde-Rocheblave (3120m), où nous voyons de loin passer trois silhouettes, surgies du versant espagnol ; au passage nous jetons un coup d’œil sur le couloir Est qui monte depuis le glacier, et pourrait en début de saison constituer une belle course de neige ; mais ce que nous en voyons d’en haut cette année, terreux et caillouteux, n’est guère engageant… De la pointe Lourde-Rocheblave, l’arête redevient dentelée, aérienne, le rocher paraît de loin solide, mais c’est sur cette section que le grand pyrénéiste Jean Arlaud, qui a donné son nom au Pic à l’Est du sommet principal, a été emporté par un bloc dans les années 30 :

De la Tour Armengaud, nous préférons donc suivre les cairns qui suivent la crête légèrement en contrebas, descendant et remontant pour épouser les brèches ; devant nous les trois espagnols, non encordés, paraissent chercher leur chemin… Nous hésitons nous-mêmes un peu avant de remonter sur la crête ; une nouvelle descente nous amène sur un large couloir qu’il faut traverser : sans corde, nos amis espagnols ont renoncé à poursuivre, mais le sommet ne paraît plus très loin : un petit quart d’heure et nous voici au cairn sommital : il est 13 heures, cela fait plus de 5 heures que nous grimpons, enfin une vraie pause, pour se restaurer et admirer le panorama, du Néouvielle et du Perdu à l’Aneto avec, à nos pieds, les lacs d’où nous venons. Il faut également repérer la descente côté sud : cette fois-ci plus de doute, c’est bien la voie normale, les cairns se suivent de près, nous retrouvons notre couloir qui se désescalade sans trop de difficulté sur une centaine de mètres jusqu’à un relatif replat, puis plonge, plus raide, plein sud ; nous repérons alors sur une petite brèche de sa rive droite (ouest) un superbe cairn : une succession de vires horizontales faciles nous conduit bientôt à une sente à travers un pierrier, puis au Port de Gias (ou port supérieur de Pouchergues) où nous retrouvons une dernière fois les espagnols, avant de redescendre chacun de son côté…

Cette voie du versant sud est désormais la voie à suivre depuis la France, si l’on ne veut pas emprunter l’arête : Il est en ce cas possible de dormir à la cabane d’Aygues-Tortes, à 2 petites heures de la Soula, puis de monter directement au Port de Gias par le lac de Pouchergues. Pour nous, qui avons laissé notre tente aux Gourgs Blancs, il nous faut contourner par l’ouest toute la base des arêtes gravies ce matin. Des nuages se sont formés et remontent de la vallée, nous voilà dans le bouillard, à traverser d’interminables pierriers : impression de montagne en ruines, un peu comme à l’Ardiden. Mais voici le petit col, au pied de la Pyramide, la boucle est bouclée, la tente est bientôt en vue, toujours debout (nous ne sommes pas dans le Parc…) après 10 bonnes heures d’absence.

Le lendemain, le soleil, toujours au rendez-vous, nous voit repartir une fois encore pour le Pic des Spijeoles (3065m), qui offre probablement le plus beau point de vue sur le massif de Luchon et le cirque du Portillon ; Véronique a pris la conduite de la cordée pour la traversée Sud-Nord du Pic Gourdon (3034m), où nous dérangeons quelques isards qui surveillent d’en haut notre progression, et découvrons en contrebas un petit glacier en voie de disparition ; par une traversée, nous regagnons le Spijeoles à la hauteur de son pierrier sommital, jusqu’à sa cheminée finale en excellent granit. Cette course, plus courte et plus facile, nous offrira un bon temps de repos aux Isclots, précieux avant de replonger vers la vallée, soit près de 2000 mètres de dénivelé à la descente pour cette ultime journée.

Les Gourgs « Blancs » méritent-ils encore leur nom ? Comme dans le Néouvielle, autrefois si bien nommé, il faudra peut-être bientôt venir fin juin pour retrouver dans leur splendeur tous ces lacs glacés d’altitude, et la flore si riche de début juillet ; mais voilà un massif encore sauvage, où les sentiers d’altitude sont parfois à chercher, mais où les marches d’approche, certes un peu longues, offrent une variété d’étages montagnards ; l’absence actuelle de refuges (versant Caillaouas) invite à planter la tente : avec un camp à 2400-2500 mètres, les 3000 les plus faciles sont accessibles en 2 h. même par temps moyen, nous avons rarement perdu une journée sans en profiter.

Daniel Desouches