Le Cylindre du Marboré (3327m)

 

Face au Mont Perdu

 

Les conditions idéales de ce mois de juillet – 15 jours de retard  d’enneigement disent les guides de la vallée – donnent envie de rendre visite aux plus hautes cimes de nos Pyrénées occidentales… D’ordinaire ce sont les champs de neige du Perdu qui m’attirent, mais la traversée d’Estaubé à la brèche de Roland, par Tuquerouye et le col du Cylindre demande une logistique un peu compliquée pour les voitures ; au sommet du Perdu, la vue est bien sûr immense, mais il y manque… le Perdu ! Germe alors l’idée d’opter pour son compère le Cylindre, à peine moins haut, mais moins fréquenté par les espagnols qui montent en foules du refuge de Goriz vers leur « Mont blanc » ; à la place des pénibles éboulis terminaux du Perdu, une petite escalade, et cette année sans doute un beau couloir neigeux…

 

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                Du bivouac, Casque et pas des isards

 

 

Je choisis donc l’aller et retour par la Brèche de Roland, pour mieux repérer et faire découvrir l’itinéraire qui permet d’accéder par le sud à tous les sommets du cirque de Gavarnie : un projet qui rejoint le désir de plusieurs de ne pas porter trop lourd, en s’offrant le dîner et une bonne nuit au refuge des Sarradets… Pour ma part, avec Grégoire, je souhaite bivouaquer derrière la Brèche pour profiter du beau temps annoncé. Arrivés au refuge nous laissons donc Claire, Isabelle, Lucie, Odile et Christophe, et nous donnons rendez-vous à la Brèche dès le lever du jour (6h), afin de ne pas trop souffrir de la chaleur versant espagnol !

La Brèche passée, les bivouacs les plus proches sont déjà monopolisés par des d’espagnols, nous poursuivons vers le Taillon, et finissons par trouver une bonne terrasse, bien abritée sous les murailles surplombantes du Pic Bazillac, protégée du vent de sud par un petit muret de pierres, au pied d’une petite grotte où nous avons la surprise de découvrir une magnifique stalagmite : deux bons mètres de glace translucide alimentée par l’eau qui goutte du plafond.

 

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               Après le pas des isards, lecouloir et la vire de la Tour

 

 

 

Excellente nuit, pas un souffle de vent, il suffit de s’abriter des rayons directs de la pleine lune… Lever 5 heures, le petit déjeuner est vite pris à la nuit noire étoilée, et en 5’ nous voici à la Brèche, à la rencontre des cinq autres, partis un peu plus tôt. Lueurs de frontales en contrebas, crissements de piolets sur la neige gelée, les voici qui arrivent. Pas le temps de leur dire de garder les campons, d’ailleurs le vent du nord empêche de s’entendre : il va falloir les rechausser de l’autre côté, pour le pas des isards, encore très enneigé et gelé. Le Casque une fois contourné, nous nous dirigeons vers le pied du couloir de la Tour, jusqu’à la vire qui est heureusement en bonnes conditions… Nous pouvons ôter les crampons, pour escalader, trente mètres après la fin de la vire, la petite barre qui conduit par un itinéraire logique et bien cairné, sans difficultés particulières, vers les pierriers sommitaux de la Tour : on laisse le sommet derrière sur la gauche, pour suivre vers l’est la large terrasse qui domine la barre que nous venons de passer, et qui fait maintenant près de 100 mètres. Un petit névé raide et un peu de verglas au bord de ce précipice, obligent à tailler quelques marches profondes pour s’éviter encore 20 minutes à remettre et ôter les crampons…

 

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                         le Cylindre, entre les pics de la Cascade, et le Perdu à droite 

 

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                         Sous le soleil, le Cylindre et son contrefort ouest ; au fond, le Perdu

 

 

Nous continuons à suivre les terrasses en descendant légèrement ; le soleil maintenant levé, on prend pied sur un vaste champ de neige encore gelée, heureusement assez plat, sous le Col de la Cascade ; puis la pente se redresse, et il faut à nouveau rechausser les crampons, nous les gardons pour passer deux petites barres calcaires qui défendent l’approche des Pics de la Cascade et du Marboré. On laisse alors au nord le relief un peu vallonné qui mène vers le Marboré, et au sud le grand replat qui, sous la base du Cylindre, permet d’accéder à l’Etang glacé et au Perdu ; nous filons maintenant vers l’est, droit sur le Cylindre : la neige abondante permet de traverser quelques éboulis ou moraines sans quitter les crampons, pour gagner enfin le couloir orienté plein nord qu’on devinait caché, derrière le grand contrefort ouest du Cylindre ; il est entièrement à l’ombre et bien gelé, nous nous encordons ; la pente se redresse, sans dépasser les 30°, et on apprécie la sécurité des campons : montée en lacets, il suffit à chaque virage de faire attention à ne pas se prendre la corde ou le pantalon dans les crampons !

 

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                         le couloir nord, sous l’arête ouest du Cylindre

 

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                   le couloir, vers le bas.

 

       

                

 

 

En débouchant au col, on retrouve un bon soleil mais aussi quelques groupes d’espagnols, venus par l’Etang glacé et le couloir sud opposé au nôtre : ils occupent la petite cheminée d’environ 20 mètres (II+) clé de l’ascension de l’arête… Nous laissons là sacs, piolets et crampons, on y reviendra déjeuner, emportant juste eau et vivres de course pour le sommet. A gauche, une autre cheminée, à l’ombre, permet de contourner l’embouteillage, mais le rocher y est moins bon et plus froid. Au dessus, l’inclinaison de l’arête diminue, un dernier petit mur, et ç’est maintenant une véritable promenade de crête, et des horizons qui se dégagent avec, juste en face, la vue sur la voie normale du Perdu, surpeuplée…

11 heures, le sommet (9h au soleil pour s’encourager !) : plusieurs bivouacs y sont aménagés avec des murets, il ne faudrait quand même pas y prendre l’orage ! Vue imprenable sur le glacier nord du Perdu (invisible du sommet du Perdu) mais aussi sur la brèche de Tuquerouye et le vallon du Lac glacé, mille mètres plus bas, à commencer par les 500 mètres vertigineux de la face Nord-Est du Cylindre…

 

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                du Cylindre, le glacier nord du Mt Perdu

 

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                la joyeuse équipe au sommet

 

 

La descente de l’arête et de la cheminée nous prendra encore une bonne heure, pour pouvoir enfin apprécier un déjeuner mérité : 6 heures qu’on marche, une demi heure de plus pour ceux qui étaient au refuge. J’espérais pouvoir revenir par le couloir de montée, mais toujours gelé, la ramasse est exclue ! A deux je choisirais de descendre en crampons face à la pente, mais faute d’école de neige suffisante pour tous, et avec la fatigue à prévoir, il faut y renoncer : il est plus raisonnable, même si cela va rallonger un peu, de descendre comme tout le monde par le couloir sud, et poursuivre notre exploration du massif… De l’Etang glacé, on reprend l’itinéraire évité ce matin et nous retrouvons enfin nos traces, mais il est déjà 15 h et le soleil tape : inconvénient de cet enneigement exceptionnel et d’une nuit fraîche il n’y a pas pour le moment d’eau en vue, l’eau de fonte des névés s’infiltre dans le calcaire, il nous faudra attendre les environs de la Tour pour retrouver quelques filets d’eau sur la roche… Ensuite, terrain connu, la Brèche se fait un peu attendre, ça y est, la voilà, encore cent mètres à remonter en plein cagnard, dernier effort avant la plongée sur le refuge qui permettra à chacun, selon son goût, de descendre dans la caillasse, sur les talons ou les fesses dans la neige, en ramasse pour les plus audacieux. Au refuge, nous nous réhydratons, mais ce n’est pas encore le parking ! Que nous réserve encore le passage de la cascade ?

 

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                du Cylindre en direction de la Brèche : Tour (noire) et Taillon (ocre)

 

 

Finalement tout se passe bien, à l’horaire près… A sept, on ne peut prétendre tenir les temps du guide Ollivier, calculés pour une cordée, qui annonçaient 3h30 depuis la Brèche pour le Perdu ou le Cylindre… Une fois de plus, pas le temps de prendre sa douche avant de se mettre les pieds sous la table : grand merci à l’équipe cuisine ! Merci aussi à Lucie et Grégoire pour les photos qui nous aideront préparer d’autres belles virées dans ce désert minéral et neigeux : Tour, Col ou Pics de la Cascade, Marboré, selon la forme du moment et le nombre d’heures de marche souhaité, avec chaque fois vue plongeante garantie sur le fond du cirque ! 

 

Daniel Desouches